Bella Napoli

Découvrez Naples, sa région, ses habitants

user

La révolte de 1647 : les 10 jours de Masaniello

Masaniello - Par Micco Spadaro Révolte de Masaniello - Rodrogo Ponce de Leon Révolte de Masaniello - Giulio Genoino Révolte de Masaniello - Ascanio Filomarino Révolte de Masaniello - Piazza del Mercato Révolte de Masaniello - Exécution de Don Giuseppe Carafa Révolte de Masaniello - Stèle Republique Napolitaine - Reddition de Naples

Du 7 au 16 juillet 1647, le peuple de Naples se soulève contre de nouvelles taxes qui lui sont imposées par le pouvoir espagnol sur les produits de consommation courante. Cet épisode insurrectionnel et son meneur, l'humble pêcheur Masaniello, marqueront durablement l'histoire et la culture napolitaine.

Le contexte de la révolte

L'effort de guerre demandé aux provinces de l'empire

La grande révolte napolitaine de 1647 s'inscrit dans le contexte de la Guerre de Trente Ans (1618-1648), qui ébranle et menace l'unité de l'immense empire espagnol. La contribution à l'effort de guerre imposée aux provinces de l'empire est à l'origine de divers mouvements insurrectionnels, comme en Sicile à Messine en août 1646, puis Palerme et Catane en mai 1647.

revolte-de-masaniello-rodrogo-ponce-de-leon-1056.jpgNaples, alors deuxième ville d'Europe avec environ 250 000 habitants, voit un nouveau vice-roi arriver en 1646 : le peu expérimenté Rodrigo Ponce de León, duc d'Arcos, est missionné par le Roi d'Espagne pour y lever de nouveaux impôts. C'est bientôt chose faite : les fruits sont taxés, entraînant un tel mécontentement de la population que le vice-roi est agressé par des lazzari la veille de Noël 1646 pour lui extorquer la promesse de supprimer les nouvelles taxes. Mais sous l'influence de la noblesse napolitaine, intéressée car en charge du recouvrement des impôts, le vice-roi ne tient pas parole : la colère gronde donc au début de l'année 1647, et en juin, le feu est mis aux guérites de perception des taxes sur la piazza Mercato où les marchandises sont vendues. Tout est désormais en place pour qu'une insurrection se déclenche.

Les différentes parties concernées

Les mouvements à l'œuvre lors de la révolte qui va s'ouvrir ne peuvent se comprendre qu'en distingant trois groupes d'acteurs, dont les enjeux s'entremêlent, s'opposant et se rejoignant tour à tour.

Le premier d'entre eux est bien entendu le peuple napolitain, miséreux et assommé d'impôts, luttant quotidiennement pour sa survie. Les Napolitains sont mêmes surnommés les « mangeurs d'herbe », ne trouvant rien d'autre à manger que ce qui pousse sur les collines de leur ville - ce qui explique au passage la consommation des désormais célèbres friarielli...

sedili-napoletani-san-lorenzo-774.jpgA l'autre extrémité de l'échiquier se trouve l'empereur et roi d'Espagne, représenté à Naples par le vice-roi. La royauté espagnole n'est toutefois pas vue par principe comme une ennemie, mais au contraire comme une gardienne du droit et de la justice, défenseuse du peuple, Naples étant en retour la « ville très fidèle » (la fedelissima città) depuis l'arrivée des Aragonais au 15ème siècle.

Cette loyauté au roi d'Espagne s'explique par l'existence d'un troisième acteur, qui cristallise - sans nul doute à raison - l'ire populaire : la noblesse napolitaine, qui intervient directement dans le gouvernement de la cité (voir l'article sur les sièges nobiliaires), accapare les richesses du royaume, détournant à son profit les impôts qu'elle est chargée de recouvrer pour le compte de la royauté. Il serait toutefois abusif de voir en la noblesse un bloc monolithique, certains nobles soutenant la cause du peuple.

Le déroulement de la révolte : du 7 au 16 juillet 1647

Le 7 juillet : le peuple de Naples se soulève contre les nouvelles taxes

revolte-de-masaniello-piazza-del-mercato-1009.jpgLe 7 juillet 1647 sur la piazza Mercato, des vendeurs de fruits refusent de payer la taxe qui leur est demandée. Malgré l'intervention de l'élu du peuple - qui ne prend toutefois pas la défense de la population -, la situation dégénère : le meneur des protestataires est tué, et la colère de la population éclate. Aux cris de « Vive le Roi d'Espagne, mort au mauvais gouvernement » - qui deviendront le slogan de la révolte -, une foule furieuse se rend au Palazzo Reale : le vice-roi échappe de peu à la vindicte populaire, trouvant refuge dans le monastère voisin de San Luigi (disparu depuis, et qui se situait sur le site de l'actuelle piazza del Plebiscito), pour gagner ensuite le Castel Sant'Elmo et enfin le Castel Nuovo.

revolte-de-masaniello-ascanio-filomarino-1057.jpgDéjà la révolte naissante a trouvé son meneur en la personne d'un humble pêcheur de la piazza Mercato âgé de 27 ans, surnommé Masaniello (pour en savoir plus sur lui, voir ici l'article sur son histoire). Une médiation s'organise entre le vice-roi et le pêcheur, grâce à l'archevêque de Naples Ascanio Filomarino : la promesse de la suppression des nouvelles taxes est rapidement obtenue. Ce succès acquis, la revendication populaire ne s'éteint toutefois pas : à l'instigation de Giulio Genoino, vieux juriste et ancien élu du peuple qui a pris Masaniello sous son aile, les Napolitains exigent désormais le rétablissement des privilèges octroyés à la fedelissima città par Ferdinand le Catholique et confirmés par Charles Quint (consistant essentiellement en l'absence de nouvelles impositions sans un vote préalable), et une représentation égale du peuple et de la noblesse dans le gouvernement de la cité.

Le 10 juillet : Masaniello emmène le peuple sur le chemin de la victoire

Obtenir la restitution du document original consignant les privilèges octroyés par Charles Quint n'est pas chose aisée : le vice-roi, aidé en cela par la noblesse, cherche à gagner du temps, n'hésitant pas à produire des faux. Masaniello renforce donc ses positions, augmentant ses troupes qu'il arme (notamment par la prise de canons stockés dans le cloîtres de San Lorenzo Maggiore), libérant les prisonniers incarcérés dans les prisons de la ville pour contrebande, et menant des expéditions punitives contre la noblesse dont il fait brûler méthodiquement les palais et le mobilier (la première victime, Andrea Naclerio, est également fusillé : il avait eu la mauvaise idée de mettre en prison la femme de Masaniello pour contrebande quelques temps auparavant...). Mais ces exactions restent rigoureusement organisées et encadrées : Masaniello interdit formellement à quiconque de s'emparer et de profiter des biens de le noblesse, sous peine de mort immédiate ; cette attitude confère à la révolte une forme de légitimité et de pureté, qui suscite une admiration étonnée des chroniqueurs de l'époque.

revolte-de-masaniello-execution-de-don-giuseppe-carafa-1010.jpgMasaniello devient bientôt le seul maître de Naples, commandant d'après les témoignages jusqu'à 150 000 hommes provenant de la ville et des villages alentours : contraint de céder, le vice-roi remet finalement à Masaniello par l'entremise d'Ascanio Filomarino le document authentique des privilèges de Charles Quint. Mais dans le même temps, la noblesse humiliée par le pêcheur cherche à se venger : le duc de Maddaloni, Diomede V Carafa, envoie le 10 juillet des bandits se joindre à la révolte pour abattre Masaniello ; un groupe de trois-cents personnes s'infiltrent parmi les révoltés rassemblés dans Santa Maria del Carmine, et cherchent à tuer leur chef. Mais comme par miracle, les balles semblent éviter le pêcheur : Masaniello sort indemne de l'attentat et voit au contraire son aura renforcée. Et une brutale répression s'ensuit : les traîtres sont tous exécutés, et à défaut du duc de Maddaloni, Masaniello s'empare de son frère, don Giuseppe Carafa, qu'il fait décapiter.

Le 11 juillet : Masaniello, capitaine général de Naples

Le 11 juillet, après que que la lecture des privilèges a été faite au peuple dans Santa Maria del Carmine, Masaniello rencontre le vice-roi au Palazzo Reale. A cette occasion, il quitte pour la première fois ses habits de pêcheur et revêt une tenue de gentilhomme, mais ne cède pas pour autant aux tentatives du vice-roi qui cherche à l'écarter du sillon tracé par la révolte. masaniello-par-micco-spadaro-1041.jpgL'entrevue se prolongeant, le peuple gronde aux portes du palais : Masaniello apparaît alors aux fenêtres, et d'un seul mot fait taire et disperse la foule, suscitant l'admiration des témoins de la scène.

Malgré les protestations de Masaniello, le vice-roi le fait capitano generale del fedelissimo popolo napoletano (capitaine général du très fidèle peuple napolitain), avec l'autorité pour rendre justice au nom du Roi d'Espagne. Le pêcheur installe son quartier général sur la piazza Mercato, d'où il rend ses sanctions.

Le 12 juillet : Masaniello est-il devenu fou ?

Mais dans le même temps, le comportement de Masaniello change : de désintéressé et juste, il verse dans l'autoritarisme et l'arbitraire, et semble même en proie au délire lorsqu'il multiplie les chevauchées dans la ville, les plongeons de nuit en mer, les lancées de couteaux dans la foule ou envisage de transformer la piazza Mercato en port. Le 12 juillet, il ordonne de nombreuses exécutions sommaires, rompant avec la relative pondération dont la révolte a fait preuve jusque-là. La rumeur de la folie de son chef commence alors à parcourir la population : pour certains, Masaniello aurait été empoisonné par le vice-roi lors de leur entrevue ; pour d'autres, l'ivresse du pouvoir conjuguée à un état d'épuisement mental et physique reste l'hypothèse la plus plausible.

Le 13 juillet, la situation semble en être arrivée à un point contradictoire : le vice-roi confirme officiellement le retour aux privilèges octroyés par Charles Quint, consacrant ainsi la victoire du peuple acquise en son nom par Masaniello ; mais dans le même temps, l'accusation de folie se propage insidieusement et isole le chef de la révolte, qui voit ses soutiens prendre ses distances, de Genoino à Filomarino, à tel point que le peuple lui-même semble commencer à douter.

Le 16 juillet : la trahison et la mort du pêcheur

revolte-de-masaniello-stele-1059.jpgTout se dénoue le 16 juillet. Masaniello cherche tout d'abord à retrouver la confiance du peuple, exhortant la foule et s'exclamant depuis la piazza Mercato « tu ti ricordi, popolo mio, come eri ridotto ? » (te rappelles-tu, mon peuple, à quoi tu en étais réduit ?). Mais ayant perdu le contrôle de la situation, il se réfugie dans l'église de Santa Maria del Carmine, où la messe en l'honneur de Notre-Dame du Carmel a lieu en présence de l'archevêque Ascanio Filomarino et du vice-roi. Masaniello monte alors sur la chaire pour tenir un ultime discours et se dévêtir entièrement, devant un auditoire médusé. C'est l'occasion choisie pour trahir celui qui est encore le héros de la révolte : emmené dans une cellule du cloître du monastère pour s'y calmer, Masaniello y est abattu de plusieurs coups d'arquebuses par des capitaines de quartiers, corrompus par le vice-roi comme en attestent les récompenses qui leur furent octroyées peu après la révolte. Son corps décapité est traîné par les rues et jeté dans une fosse commune, tandis que sa tête est présentée au vice-roi comme preuve de sa mort.

Après Masaniello : la suite et l'échec final de la révolte

republique-napolitaine-reddition-de-naples-1060.jpgLa mort de Masaniello signe la fin de ce premier et grand épisode de révolte. Mais les acquis obtenus de haute lutte par le peuple et son chef sont bientôt remis en cause, relançant l'insurrection dès la fin août 1647 sous le commandement de Gennaro Annese, un armurier napolitain. Le mouvement prend cette fois un caractère nettement anti-espagnol et bénéficie du soutien de la France en lutte contre les Habsbourgs d'Espagne : il mène à l'institution d'une éphémère République Napolitaine entre octobre 1647 et avril 1648, mais échoue définitivement à éloigner la domination espagnole sur Naples.

Révolution spontanée...ou révolte organisée ?

Outre la postérité posthume à laquelle accède bientôt Masaniello, la révolte de juillet 1647 bénéficie d'une aura singulière, qualifiée parfois de révolution, louée par sa spontanéité et sa pureté... Mais qu'en est-il exactement ?

Tout d'abord, la révolte ne fut et ne chercha pas à être une révolution : jamais il ne fut question de renverser le pouvoir espagnol, comme le rappelle le slogan « Vive le Roi d'Espagne, mort au mauvais gouvernement ». L'ennemi visée par l'insurrection fut avant tout la noblesse napolitaine, corrompue et tenue pour responsable des maux du peuple.

Sa spontanéité est également douteuse. En effet, avant son déclenchement, il est avéré que Masaniello avait noué une relation avec Giulio Genoino suite à divers séjours en prison pour contrebande :revolte-de-masaniello-giulio-genoino-1058.jpg ce juriste et ancien élu du peuple, chassé de Naples en 1620, y était revenu en 1638 dans l'idée d'y reprendre le combat pour ses idées. Cet agitateur fit de Masaniello son bras armé, et fut par ce biais l'instigateur des revendications de la révolte jusqu'à ce que le pêcheur échappe à son contrôle. Aussi est-il avéré que Masaniello fut préparé et contribua au déclenchement de la révolte : il participa à l'incendie des guérites de perception des taxe en juin ; il utilisa les préparatifs d'une fête populaire qui se déroulait chaque année sur la piazza Mercato, simulant l'incendie d'un fortin (qui se perpétue aujourd'hui à travers l'incendio del campanile de Santa Maria del Carmine) pour entraîner et enrôler une troupe de jeunes garçons afin de constituer le socle de sa future armée ; enfin, le meneur de la protestation qui fut tué le 7 juillet sur la piazza Mercato, déclenchant l'insurrection, n'était autre que son beau-frère.

Pour autant, ces éléments ne peuvent remettre en cause la singularité de la révolte de 1647. Il y a bien sûr le caractère désintéressé du mouvement, pour lequel seul compte le retour à une situation supportable pour le peuple : pas d'exactions, pas de profit. Mais plus encore : comment un jeune pêcheur, sans aucune expérience politique, put-il devenir en moins d'une semaine le roi de fait de Naples, obéi sans sourciller de plusieurs dizaines de milliers d'hommes ? Comment sut-il prendre les décisions stratégiques qui lui permirent de se rendre maître d'une des plus grandes villes d'Europe et y maintenir l'ordre alors que le chaos eût été plus naturel ? Et enfin, que lui arriva-t-il donc pour qu'il bascule dans cette folie inexplicable et inexpliquée, qui le mena à sa perte - peut-être volontairement  ? Pour ces raisons et le mystère qui l'entourera éternellement, la révolte de 1647 reste un épisode à part dans l'histoire de Naples et de l'Europe.

Pour en savoir plus

Pour en savoir plus, nous vous recommandons la lecture du récit « La Révolution de Naples » d'Alessandro Giraffi, contemporain de l'événément et traduit en français. Sous une forme plus romancée, Alexandre Dumas livre dans son « Corricolo » une séduisante description de l'épisode et de la figure de Masaniello, sans jamais beaucoup s'éloigner de la réalité historique.

Réagissez

N'oubliez pas : toute publication suit les règles définies ici.
Pour enrichir le texte de votre message, vous pouvez utiliser des balises de type BBCode.

Vous devez être connecté pour publier un message.

Aucun commentaire sur cet article

haut